Boris Charmatz

Il aurait pu jouer du violon ou s'affirmer au ping-pong, mais c'est la danse que Boris Charmatz choisit, ou peut-être est-ce elle qui le repère, comme une promesse d'extension de ses limites. En quelques années, il en devient une sorte d'activiste, en déplacement permanent, de préférence là où il n'est pas attendu, là où il ne s'attend pas lui-même. Né en 1973, formé à l'école de danse de l'Opéra de Paris, puis au Conservatoire national supérieur de Musique et de Danse de Lyon, Boris Charmatz est danseur pour Régine Chopinot, Odile Duboc et Meg Stuart, mais aussi improvisateur avec les musiciens Archie Shepp et Médéric Collignon. Progressivement, il donne son congé à une carrière déjà tracée, pour en ouvrir une autre par des voies non frayées : au corps d'y mettre tout ce qu'il ne sait pas encore.

 

Sa rencontre en 1993 avec la chorégraphe Odile Duboc est essentielle : elle l'entraîne dans son Projet de la matière, matière à danser non sans avoir pesé les mots de Bachelard ou de Blanchot. Cette expérience rejaillit sur ses propres créations, leurs jeux de titres et sous-titres qui dessinent déjà des trajectoires : Aatt enen tionon (1996), son cri en trois étages, sa chorégraphie verticale, ses vertiges sublimés ; héâtre-élévision (2002), instal lation pour un seul spectateur et un écran de télévision ; régi (2006) et ses machines chorégraphes à l'oeuvre sur des corps inertes. Depuis À Bras-le-corps (1993), cosigné avec Dimitri Chamblas, c'est toute la danse que Boris Charmatz a pris à bras-le-corps, dans un pas de deux propice à la cribler de questions sans fin. Sur son histoire et son enseignement, ses modes de transmission et de conservation, sa capacité à rebondir sans cesse ailleurs, dans les arts visuels, le cinéma ou la littérature. Point de danse qui soit uniquement savoir ou savoir-faire : la danse se pratique selon lui sur le mode interrogatif. Danser n'est qu'une des réponses possibles à la danse, celle dont il ne peut se passer. Boris Charmatz s'agace parfois d'avoir été qualifié de « conceptuel » : tout classement implique un esprit de système que son système à lui ne permet pas. À sa manière, il se défie du conceptualisme, de l'enfermement qu'il implique. S'il faut absolument distinguer un concept, c'est dans le spectacle et non dans ses prémisses. Le concept n'est ni proclamation, ni objet à illustrer, mais une émanation de mouvements dansés. Le geste n'illustre pas la pensée : il doit la devancer, la contraindre, être plus large qu'elle. Lorsque le concept affleure, avec Levée des conflits (2010) par exemple, il le dément par la dimension symphonique, il l'exténue dans la sueur, jusqu'à l'effacement. Le concept est moins productif que la « complexité ». La complexité est dans la contradiction. Elle exige de creuser pour extraire ce qui ramène à la simplicité, à une combinaison de gestes essentiels. Là encore, le vocabulaire doit suivre. La contradiction est son combustible.

En janvier 2009, à peine nommé au Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne, Boris Charmatz le transforme en Musée de la danse. Musée et danse ? « Oui, dit-il, c'est aussi une question. » À cette occasion, il convient de lire son Manifeste : une écriture de haute élégance, une pensée dansée qui n'en est pas moins argumentée. L'essentiel, une fois encore, c'est que la danse n'est pas seulement dans la danse. Le musée n'est pas contenant, mais contenu. Il s'ouvre devant le visiteur-spectateur-danseur, par lui, avec lui. Ce musée sera nomade, comme a pu l'être précédemment son projet d'école : Bocal. Scène, école, musée sont en effet indissociables, une condition pour rouvrir l'espace public et l'élargir, d'autant plus qu'il est sous la menace. Espace public, service public, place publique : au Festival d'Avignon, il se retrouve au coeur de ses préoccupations. Dans l'écoute du monde où il n'a jamais cessé d'être et que la danse, finalement, lui permet de rendre audible.

Au Festival d'Avignon, Boris Charmatz a présenté l'an dernier La Danseuse malade, avec Jeanne Balibar sur des textes de Tatsumi Hijikata, et Flip Book, une lecture de l'oeuvre de Merce Cunningham.

 JLP, mars 2011.

Portrait de Boris Charmatz © César Vayssié