Dieudonné Niangouna

C'est en 1997 à Pointe-Noire, où il s'est réfugié pendant la guerre civile qui a ravagé une seconde fois le Congo, que Dieudonné Niangouna crée sa compagnie Les Bruits de la Rue pour  mettre en scène et jouer les pièces qu'il a commencé à écrire, tout en se formant aux arts plastiques à l'École nationale des Beaux-Arts de Brazzaville. Avec son frère Criss, il invente un concept, le «Big ! Boum ! Bah !», titre de l'une de ses premières pièces, qui résume bien les intentions à l'origine de ce désir de théâtre. Pour eux, il est nécessaire de partir du monde qui les entoure, des rues de leur ville, pour créer une écriture et une esthétique nouvelles. Il leur importait de sortir d'une pratique assez conventionnelle, telle qu'elle était véhiculée par le Théâtre National, emblématique souvenir de la colonisation française. Il fallait inventer une nouvelle langue dramatique qui utilise le français, mais en le dynamitant par le lari, l'une des langues parlées à Brazzaville, la langue maternelle orale de Dieudonné Niangouna. Ainsi «l'énergie inventive» du lari traverse-t-elle le français pour produire une langue qui doit être dite par les acteurs et entendue par les spectateurs, une écriture énergique parcourue d'éclairs tonitruants, d'images colorées, de fulgurances ima­ginatives. Elle est en adéquation avec la construction-déconstruction exigeante des textes de Dieudonné Niangouna, faits de moments d'absence, de trous de mémoire, de retours en arrière, de déchirures, de morceaux épars, de monologues et de dialogues qui n'écrivent pas une histoire linéaire, mais reconstituent un monde fait de bric et de broc, de détails infimes qui semblent impuissants à donner une image du réel mais qui, mis bout à bout, approchent de la vérité. Tous les personnages de Dieudonné Niangouna ne se résument pas à leurs origines, car ils parlent cette langue de théâtre inventée qui leur permet de s'affranchir du réel pour s'envoler, pour délirer, pour s'enchanter de leurs mots. Ils sont aussi déconstruits que la langue qu'ils parlent. Ils sont troublants, dérangeants, bourreaux ou victimes de guerre, clandestins internés ou petits débrouillards tentant d'échapper au chaos du présent. Dans l'œuvre de Dieudonné Niangouna, « seul le rêve permet d'envisager l'avenir », même si ce rêve est parfois sombre comme un cauchemar. Il doit être équitablement réparti entre tous les personnages parce que, au théâtre, chaque personnage a droit à un avenir quel qu'il soit. Dieudonné Niangouna est aussi un grand voyageur, dans et hors de son continent, réfutant l'étiquette d'auteur « africain », refusant d'être considéré comme une curiosité ethnique. Franchissant plus ou moins allègrement les frontières et les barrières qui y sont maintenant jointes, il recherche la confrontation, le débat, le déséquilibre, la déstabi­lisation à l'image de ses personnages toujours un peu au bord du gouffre, toujours en situation de danger. Le faux confort du consensus ne s'inscrit pas dans ses priorités artistiques puisqu'il s'agit d'émouvoir, et non pas de plaire, en bon et « simple serviteur de l'art », de l'art du théâtre qu'il a choisi de défendre. Un théâtre à inventer et non à emprunter, un théâtre qui doit avancer, puisque « hériter ne sert à rien si on ne développe pas l'héritage ». Dans cette dynamique et pour inscrire cette vision de l'art à Brazzaville, il y crée en 2003, avec Abdon Fortuné Koumbha, Arthur Vé Batouméni et Jean Felhyt Kimbirima, Mantsina sur scène, un festival international de théâtre contem­porain et de performance, où il invite une nouvelle génération d'artistes à s'exprimer et à créer. En 2002, avec Carré blanc, il joue pour la première fois en France au TILF à Paris, puis aux Francophonies en Limousin, où il crée en 2011 Le Socle des vertiges. Le Festival d'Avignon a accueilli Dieudonné Niangouna en 2007 avec Attitude clando, puis en 2009, avec Pascal Contet pour Les Inepties volantes.

JFP, avril 2013.