avec Edgar Morin philosophe et sociologue
Comment résister, lors de l'Occupation, bien sûr, mais aussi à l'heure de la colonisation des territoires et des imaginaires ? Même s'il ne saurait être la propriété d'aucun groupe historique, d'aucune catégorie sociale ni d'un comportement héroïque, le qualificatif de “résistant” dispense parfois de penser. Apposé à une cause, adossé à une revendication, il suffirait à lui seul à s'opposer avec légitimité face à l'ennemi que l'on combat ou bien au monde tel qu'il va. Le terme de “résistance” est parfois même revendiqué avec une certaine obscénité. Comme le rappelaient Lucie et Raymond Aubrac, “l'armée des ombres” avait “catalysé l'élan vital qui [lui] avait permis de remettre debout un pays de citoyens capables de rétablir une démocratie créatrice”. Le programme du Conseil national de la Résistance a en effet préparé les grandes réformes de l'après-guerre, de la sécurité sociale à la liberté de la presse. Autrement dit, “résister, c'est oser, écrivaient-ils encore très récemment. Et oser, c'est créer”. À quoi faut-il résister aujourd'hui ? “À l'égoïsme, la résignation, la peur du changement, l'implantation solide, dans notre pays, de forces politiques, sociales et financières qui ont le plus grand intérêt à ce que rien ne change”, poursuivaient-ils. Résister, c'est aussi refuser la domination d'une seule forme de rationalité. Résister, c'est inventer de nouveaux concepts, percepts ou agencements de liberté, de nouvelles façons de représenter et de signifier. S'ouvrir au monde et à sa complexité sans perdre sa capacité à s'indigner. Faire des pas de côté sans rentrer sa colère. Rencontre avec un résistant historique qui, de sa rupture avec le parti communiste en 1949 à l'urgence écologique, de la réforme de la pensée jusqu'à l'analyse du conflit israélo-palestinien, poursuit inlassablement un travail de résistance intellectuelle, politique et culturelle.